===== Moïse sauvé des eaux. Thomas Blanchet, peintre du 17 ème siècle =====
**Thomas Blanchet, né en 1614 à Paris, mort le 21 juin 1689 à Lyon, est un peintre français de style classique, voire baroque.**
{{ :connaissance:comprendremulti:ph069_thomas_blanchet_.jpeg?direct&400 |Thomas Blanchet : MoÏse sauvé des eaux}}
Le tableau, //Moïse sauvé des eaux//, a été découvert et préservé par Jean-Pierre Changeux. Il en a fait don au Musée du Louvre.
Jean-Pierre Changeux est neurologiste et auteur, notamment, de //Le beau dans le cerveau//.
[[https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Changeux|Jean-Pierre Changeux]]
Ce tableau est riche de signifiés. Sa composition témoigne d'une esthétique élaborée.
Le modèle de Stevenson - l'analyse par les besoins fondamentaux - est utilisé dans l'analyse développé ici. Bien évidemment d'autres modes de lecture peuvent être employés confortant ou critiquant les observations proposées. Vos avis seront précieux dans la compréhension de cette oeuvre.
Nous apprécions un tableau de diverses façons : par empathie, par sympathie, par identification, par réflexion, par le rappel de situations que nous avons connues, par des acquis très divers.
**Le spectateur et ses acquis**
Un spectateur est soit profane (sans culture biblique), soit disposant d'une culture biblique. Sa contemplation du tableau sera différente.
**Le spectateur est strictement profane**
**Mobilité**. Les gestes des personnages apparaissent fluides, rapides, efficaces. Ils subliment le mouvement.
**Adaptation**. L'enfant quitte une situation dangereuse.
**Nutrition**. La première préoccupation du groupe sera de nourrir l'enfant.
**Hygiène santé**. Les personnages apparaissent très propres. Des détails, la femme essorant sa robe, un paquet de linge suggère une scène de lavoir.
**Sécurité**. Les personnages ne semblent pas particulièrement menacés Pourtant le contexte n'est pas rassurant : château fort à l'horizon, atmosphère sombre, arbre cassé, une femme effrayée et présence d'un géant affalé sur le sol (personnage mythique ?).
**Affectivité**. Les attitudes des personnages témoignent d'une affection naissante pour l'enfant.
**Échange**. Les attitudes, les gestes indiquent que le groupe est habitué à échanger dans la douceur.
**Réflexion**. Le groupe de femmes semble agir avec émotion. Deux personnages méditent sur la situation.
**Reconnaissance**. Les deux personnages de droite semblent dominer en raison d'une probable position sociale forte. La très grande lisibilité du tableau témoigne d'une très grande considération pour le spectateur.
**Cohérence**. Tous les éléments concourent au sauvetage de l'enfant et probablement à sa prise en charge. La scène est un hymne à la femme et à la maternité, un thème fréquemment traité. L'organisation du tableau renforce l'impression de cohérence : l'enfant est au centre du tableau, les personnages sont disposés selon une parabole (rappelant une clef de Fa) s'élevant vers la cité, le regard, partant de la gauche, porte sur un espace sombre, important, inquiétant pour s'élever vers la partie haute et à droite.
****Le spectateur a une culture biblique, il voit d'autres interprétations****
**Nutrition**. Le spectateur sait que l'allaitement de l'enfant est un élément important puisque sa sœur, qui fait partie de l'entourage de la fille de Pharaon, va œuvrer pour qu'il soit confié à une nourrice, en fait sa mère biologique. Importance biblique de la nourriture.
**Sécurité**. L'enfant hébreu était voué à la mort par la décision de Pharaon qui a décidé que tous les enfants mâles hébreux. L'enfant est sauvé par la volonté de sa fille (deuxième personnage à partir de la droite).
**Affection**. Les femmes tenant l'enfant sont les femmes de compagnie de la fille de Pharaon. Le spectateur peut les observer en train de s'amuser, ce qui atténue l'aspect affection.
**Échange**. Le groupe fait partie de l'entourage de Pharaon. Les échanges sont donc en partie convenus et ambigus.
**Réflexion**. On peut supposer que la fille de Pharaon et le dignitaire réfléchissent aux problèmes posés par cette situation un peu compliquée.
**Reconnaissance**. Au XVIIe siècle, en France, les tableaux sont commandés par l'église ou par d'autres pouvoirs en place. Les thèmes universels sont traités à travers des représentations bibliques ou mythiques satisfaisant ainsi le besoin de reconnaissance des puissants commanditaires.
**Cohérence**. Les dix besoins fondamentaux et leur satisfaction dans leurs nombreuses interactions et ambigüités sont évoqués. L'ensemble est complet ce qui marque l'œuvre d'une façon puissante et rare.
**Lecture profane ou lecture biblique de l'œuvre ?**
Une lecture non profane semble plus riche, plus cultivée. En revanche, elle présente le risque d'une surcharge de signifiés masquant ce qu'une lecture profane révèle de plus universel et de plus intense : la naissance d'un enfant, sa prise en charge par une communauté de femmes, les peurs associées à surmonter, la nécessité d'une protection étendue, le plaisir de la réussite ressenti par tous.
**L'apport des neurosciences**
Les neurosciences viennent sur le plan scientifique confirmer, expliquer, nuancer ce que l'artiste a su exprimer. Au moins partiellement.
**L'importance de la mémoire des évènements chez l'être humain.**
Le cerveau enregistre, principalement dans différentes parties du cortex, des connaissances de tous types. Il dispose ainsi d'//informations mémorielles// qu'il est en capacité de mobiliser selon les situations rencontrées. Toute action résulte de la recherche d’un //équilibre// entre les impacts des informations vitales et des informations mémorielles. Les informations mémorielles, concernant une connaissance ou un évènement, sont très concrètement un //ensemble formé de synapses// qui se sont connectées //spécialement//. Cet ensemble est plus ou moins stable et conscient. Son accès est soumis à des conditions spécifiques impliquant des sélections, des inhibitions.
Les ensembles ainsi constitués, propres à chacun, constituent ce que Pierre Bourdieu a désigné par //l'habitus//. À noter que ces ensembles acquis engendrent une configuration du cerveau sans possibilité de retour au strict état antérieur. Mais, heureusement, elle est susceptible de faire l'objet d'un nouvel état pouvant éventuellement contourner l'acquis ou modifier son intégration.
Les personnages du tableau ont des habitus visiblement très différents : ceux des femmes s'occupant de l'enfant, ceux de la fille de Pharaon, ceux du dignitaire, ceux de la sœur de Moïse, ceux de la femme faisant la lessive.
**Le besoin d'affection**
Présent chez les mammifères, sa satisfaction est primordiale pour l'être humain, particulièrement dans ses premières années. Le besoin de satisfaction est l'objet de mécanismes complexes. Parmi eux l'émission d'un neuromédiateur, //l'ocytocine// joue un rôle important chez le “donneur” d'affection en lui donnant du plaisir.
Le groupe de femme semble effectivement éprouver beaucoup de plaisir dans cette prise en charge de l’enfant.
**Les circuits de la crainte**
Les informations évènementielles recueillies par nos sens – vision, ouïe - sont répartis par le //thalamus//. Elles irriguent le //cortex// et un groupe de neurones appelés //amygdale//. Le noyau agmydalien décide de l'urgence des réactions de fuite ou de défense en se fondant sur des situations similaires qu'il aura mémorisées en son sein et de celles mémorisées dans d’autres parties du corps et du cortex.
Dans le tableau, la femme faisant la lessive est inquiète (elle est //stressée//), la sœur de Moïse semble avoir, d'abord, une réaction de //fuite//, et ressentir l'//émotion de la peu//r. Les femmes accompagnant la fille de Pharaon apparaissent absorbés par le jeu. Nous pouvons supposer que la fille de Pharaon et le dignitaire ont déjà connu et affronté de telles situations. Visiblement, ils contrôlent leurs émotions.
**Les circuits de la compréhension**
Le propre de l'être humain est de posséder un //cortex// très développé permettant d'assurer des fonctions diverses comme la parole, l'écriture, des gestes élaborés, des mémorisations complexes etc. Au sein de ce cortex une partie, désignée //lobe frontal//, est plus particulièrement affectée au raisonnement, à la prise de décision, au contrôle des émotions et à beaucoup d'autres fonctions.
La fille du Pharaon et le dignitaire semblent pleinement utiliser leurs capacités de compréhension de la situation et de maitrise de leurs émotions. Nous pouvons supposer que le commanditaire du tableau s'est assimilé à ces personnages… comme tous les spectateurs dotés, ou croyant être dotés, de pouvoirs. À noter que Thomas Blanchet a réussi à faire figurer les quatre grandes classes sociales d'une population.
**En synthèse**
Ce tableau, est à notre sens, l'un des plus beau portants sur le thème de //Moïse sauvé des eaux//. Il surprend par sa composition harmonieuse, il touche d'une façon simultanée nos besoins fondamentaux dont il suggère la richesse de leurs connexions, tous les détails comptent et touchent à l'essentiel.
L'essentiel étant, comme l'exprime Jean-Pierre Changeux, //plus d'entente entre êtres humains, de "sympathie" et de bonheur partagé//.
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