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Foyer de Chaumont (cas)

Patrick Sadoun

Patrick Sadoun est le père d'un jeune adulte avec un autisme. Il est l'initiateur de la création d'un foyer innovant en matière d'architecture et d'aménagement : Le foyer de Chaumont.

Il intervient dans un Colloque à Grenoble (29/09/2012), organisé par l’Ecole de la Cause Freudienne Rhône Alpes.

Pour en finir avec une architecture anxiogène dans les établissements accueillant des personnes autistes :-P

Vous pouvez prendre connaissance de son intervention par une vidéo :

ou bien par le texte intégral de ses propos :

La conférence de Patrick Sadoun

Je suis père d’un jeune autiste de 24 ans. Ce n’est pas toujours facile. Et pas seulement pour les difficultés quotidiennes que vous pouvez imaginer. Non, je veux d’abord parler ici aujourd’hui du fait qu’il semblerait que les pères de ces enfants n’aient pas leur mot à dire dans toutes ces histoires d’autisme. J’ai reçu cette semaine copie d’un mail qu’une mère, membre du collectif de soutien au film « le mur », a cru bon d’envoyer à la Présidente de la Fédération Française Sésame Autisme, à une journaliste de l’Express ainsi qu’à la Ministre de l’enseignement supérieur, pour dénoncer ma participation à ce colloque.

On se croirait à l’époque de l’inquisition et certains nostalgiques de ce bon vieux temps aimeraient bien qu’il suffise à nouveau d’accuser quelqu’un de pactiser avec le diable pour l’expédier illico au bûcher ! Car pour eux, accepter de dialoguer avec des psychanalystes, c’est forcément se ranger dans le camp de ces êtres maléfiques et tout puissants qui n’arrêteraient pas de culpabiliser les mères en diffusant sournoisement l’idée venimeuse qu’elles auraient volontairement rendu leur enfant autiste en refusant de les aimer et en faisant passer leur carrière avant leur famille.

Désolé Madame, mais je ne peux pas adhérer à ce récit fantasmatique. Ma femme a toujours aimé ses enfants, nos enfants et, au moins pour ce qui nous concerne, les psychanalystes ne nous ont jamais culpabilisés. Au contraire ils ont su, avec infiniment de tact et de patience, nous accompagner et nous soutenir dans ce parcours douloureux et nous leurs en sommes très reconnaissants.

Non, les mères d’enfants autistes ne sont pas de vilaines sorcières dévoreuses d’enfants ! Mais elles ne sont pas non plus les madones dévouées corps et âme à leur enfant et que portent aux nues certains journalistes et hommes politiques ! Je n’accepte pas que l’on essaie de me mettre en demeure de choisir entre ces deux caricatures ! Même si je peux comprendre que ces journalistes et ces hommes politiques, qui auraient certainement tous aimés être de gentils petits garçons adorés par leurs mamans, défendent avec ardeur l’image de la bonne mère et pourfendent ceux qui viennent l’écorner en laissant entendre que la réalité n’est jamais aussi manichéenne, que les sentiments et les relations humaines sont pétris d’ambivalence et qu’il y a, chez chacun d’entre nous, une part d’inconscient qui nous échappe et dont nous ne sommes pas responsables.

Je n’accepte pas non plus d’avoir à choisir entre la vilaine sorcière et la madone de l’immaculée conception parce que ces deux figures archétypales ne me laissent aucune place, ni en tant que père, ni en tant que conjoint. Ou tout au mieux celle de Joseph, à l’arrière plan du tableau, car je n’aurai pas l’outrecuidance de prétendre à celle de Dieu le Père !

Mais revenons à notre sujet. Même si ce sont les psys qui n’arrêtent pas de nous répéter qu’il faut revenir au sujet …

Je ne suis pas architecte. Je ne suis pas non plus psychanalyste. En quoi suis-je donc qualifié pour parler d’architecture dans un colloque organisé par des psychanalystes ?

Quand les imprévus de la vie vous plongent dans le drame de l’autisme, dès que l’on arrive à remonter un peu à la surface, on est vite amené à devoir trouver des réponses à une multitude de questions. Une des plus angoissantes de ces questions est de trouver un lieu d’accueil où votre enfant puisse se sentir bien et progresser.

Et c’est là que commence le parcours du combattant dont parlent presque tous les parents d’enfants autistes.

Quand Boris était enfant, il n’y avait aucune institution adaptée en Haute-Savoie et le pédopsychiatre de l’hôpital du secteur n’avait rien d’autre à nous proposer que le placement dans une famille d’accueil en Lozère, à plusieurs centaines de kilomètres de chez nous. C’était nous demander froidement d’abandonner notre enfant autiste, “pour mieux pouvoir nous consacrer aux deux autres”, comme disait ce spécialiste ! Nous nous sommes donc passés de ses conseils et, après de longues démarches administratives, nous avions réussi à lui trouver une place dans une institution que nous avait recommandée le Professeur François Ansermet, la Fondation Renée Delafontaine à Lausanne, en Suisse.

« La Violette » était une jolie maison familiale qui accueillait 16 enfants autistes de Kanner. D’orientation kleinienne les équipes étaient très à l’écoute des enfants et des familles, Boris en parle encore aujourd’hui, c’est d’ailleurs là qu’il a commencé à parler à l’âge de 10 ans.

Mais 16 ans était l’âge limite à la Violette et il nous fallut donc en 2004 repartir à la recherche d’une autre place. Heureusement entre temps l’IME de Tully, géré par l’APEI de Thonon, avait obtenu un agrément pour l’accueil d’enfants et d’adolescents autistes et Boris y fut admis. Cependant nous étions bien conscients qu’il nous faudrait trouver autre chose dès que Boris aurait 20 ans, l’âge limite dans les IME.

A l’exception d’une maison d’accueil spécialisée à Sallanches, gérée par l’Ordre de Malte et aux effectifs complets depuis longtemps il n’y avait aucune structure adaptée spécifiquement à l’accueil d’adultes autistes en Haute-Savoie. L’UDAPEI 74 avait bien un projet de création de foyer, elle avait acheté pour cela, avec le soutien financier du Conseil Général, une ancienne ferme à Chaumont, entre Annecy et Genève, mais il restait à définir le projet et à l’écrire.

Je me suis lancé dans cette aventure et, comme tous les parents d’associations gestionnaires d’établissements j’ai vite été amené à me pencher sur des questions concrètes auxquelles je n’étais pas du tout préparé.

Je vous parlerai aujourd’hui essentiellement d’une d’entre elles : que demander à l’architecte que l’on choisirait pour construire ce foyer ?

J’étais bien forcé de constater que la plupart des établissements étaient conçus à partir de deux schémas, au mieux le schéma de la grande maison familiale comme la Violette, au pire le schéma hospitalier. Vous connaissez tous ces longs couloirs rectilignes qui desservent des chambres bien alignées de part et d’autre, à l’atmosphère glaciale et stérilisée et où tout semble conçu davantage pour le confort de la femme de ménage que celui de l’usager. Je n’avais aucune envie que mon fils et ses camarades passent l’essentiel de leur vie dans un tel environnement.

Il me semblait évident à priori qu’il fallait adapter un bâtiment aux spécificités du public auquel il est destiné. Mais quelles spécificités et quelles adaptations ? J’ai posé ces questions aux associations de parents, à la DDASS, à la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité, à des directeurs d’établissements mais j’ai reçu très peu de réponses. Finalement c’est dans des échanges sur un site internet « Satedi.org », animé par de personnes souffrant elles-mêmes de troubles autistiques, que j’ai trouvé le plus d’indications. Ces indications correspondaient à ce que j’avais pu lire chez Donna Williams et Temple Grandin ainsi qu’à ce que je pouvais constater dans ma vie quotidienne avec Boris.

En tant qu’enseignant je m’étais aussi rendu compte que la conception des écoles, des hôpitaux, des prisons et de bien d’autres établissements publics répondaient d’abord à l’obsession de pouvoir tout contrôler d’un simple regard. Or précisément le regard de l’autre est insupportable pour les personnes autistes, à tel point qu’un de leurs signes caractéristiques est d’avoir un regard fuyant.

Entre parenthèses, les psychotiques aussi vivent le regard de l’autre comme une menace, les journaux sont pleins de faits divers qui racontent qu’une personne en a poignardé dans la rue une autre qu’elle ne connaissait pas, uniquement parce qu’elle l’avait regardée.

J’avais remarqué par ailleurs que la place préférée de Boris à la maison, quand nous recevions des amis, était au milieu de l’escalier dans le séjour, à un endroit dominant d’où il pouvait tout voir et tout entendre sans être vu. Enfin sur des vidéos sur la vie dans des foyers j’avais été frappé par le comportement de certains jeunes qui se cachaient le visage sous une couverture en plein été.

Dans des classes qui accueillent des enfants autistes, les enseignants, croyant bien faire, placent parfois ces enfants au premier rang : c’est la pire des places pour eux car ils ont le regard de tous dans le dos et ils ne peuvent pas vérifier à tout moment si les autres ne leurs sont pas hostiles. Il vaut mieux au contraire les placer au fond de la classe et même disposer plus loin un paravent derrière lequel ils puissent venir se réfugier lorsqu’ils se sentent particulièrement mal.

Un des principes directeurs du foyer de Chaumont sera donc d’offrir des recoins et des lieux de repli pour que les résidents puissent échapper au regard et à la présence des autres avant que cela ne leur devienne insupportable et qu’ils ne passent à l’acte dans l’agression ou l’automutilation.

Concrètement cela signifie qu’il faut éviter l’effet de masse des effectifs trop nombreux, ne pas construire de foyers pour plus de vingt à trente personnes, diviser ces bâtiments en unités de vie pour 4 à 6 résidants. Dans les unités de vie il ne faut pas que toutes les chambres soient regroupées. Dans une unité pour 6 personnes par exemple il vaut mieux séparer par les pièces communes un groupe de 3 chambres, un groupe de deux et une chambre isolée. Cela évite de plus qu’un résident ne réveille tout le foyer lorsqu’il n’arrive pas à dormir.

Dans les cas les plus sévères ce n’est pas seulement le regard de l’autre qui est insupportable mais le simple reflet de la personne elle-même peut provoquer une crise : on ne compte plus le nombre de miroirs brisés dans les institutions. Quant aux grandes baies vitrées avec effet de miroir la nuit elles finissent par être remplacées par des panneaux en bois partout où l’on n’a pas tenu compte de cette donnée. Il est donc impératif de penser à des dispositifs anti-reflets sur les vitres, les murs (où l’on proscrira les laques au profit des peintures mates), les sols pour lesquels on ne choisira jamais de revêtements brillants.

L’aménagement d’une chambre répond aux mêmes préoccupations : il ne doit pas y avoir de vis-à-vis, la porte d’une chambre ne doit pas être juste en face d’une autre et le lit ne doit pas être visible depuis la porte d’entrée. Cela permet en outre aux résidents d’avoir un peu d’intimité dans leurs chambres.

Temple Grandin considère qu’une personne autiste est comme un animal aux aguets.

Allongé dans son lit le résident ne doit donc pas être visible de l’extérieur mais il doit pouvoir vérifier du regard que du côté de la porte d’entrée ne surgit aucun danger !

Concernant la place du lit dans la chambre vous pouvez aussi observer dans toutes les institutions qu’il n’est jamais à l’angle de deux murs alors que ce serait là l’emplacement le plus sécurisant. C’est la même chose pour les baignoires qui sont toujours placées au centre de la salle de bains. Ce choix est déterminé par le confort du personnel qui doit faire les lits tous les matins et qui préfère qu’ils soient accessibles des deux côtés. Or c’est très sécurisant pour tout un chacun d’avoir un bord pour pouvoir se laisser aller à l’endormissement. Quand on dort à deux c’est l’autre qui assure ce rôle, quand on est seul, faute de mieux on doit se contenter d’un pan de mur !

La question des bords, du contenant, de l’enveloppe corporelle, toutes ces appellations renvoient à une expérience essentielle décrite par Temple Grandin dans « ma vie d’autiste ». Elle y parle de ses vacances chez une tante qui gérait un élevage de bovins. Là elle avait observé que le bétail, affolé au moment où on l’envoyait à l’abattoir, se calmait instantanément lorsqu’on le plaçait dans la trappe à bétail. Ecoutons-la :

Pendant des heures, je regardais les animaux apeurés et crispés se faire enfermer dans la trappe à bétail. Et quand les parois serraient doucement leurs flancs, je les voyais se calmer. Finalement, j'ai demandé à ma tante Ann la permission d'essayer moi-même la trappe à bétail. Puisque la pression du contact tactile calmait les veaux, peut-être m'aiderait-elle aussi. D'abord, j'ai réglé la barrière pour qu'elle s'ajuste à la hauteur de ma tête quand je me présentais à quatre pattes et, en suite, j'ai grimpé dans l'enclos. Ann a tiré la corde qui tirait les parois de la trappe à bétail pour les rapprocher. Je sentais leur pression ferme sur mes flancs. Normalement, j'aurais évité une telle pression comme j'évitais de me faire engloutir par l'étreinte de ma parente obèse et spongieuse dans mon enfance. Mais dans la trappe à bétail, le repli était impossible. Je n'avais aucun moyen d'éviter la pression sans me faire relâcher de la trappe de contention. Le résultat était à la fois stimulant et décontractant. Mais, et c'est le plus important pour une personne autiste, c'est moi qui étais maître à bord. Au lieu de me faire avaler par une parente trop affectueuse, je pouvais diriger Ann pour qu'elle applique le niveau de pression adéquat. La trappe de contention me soulageait de mes crises de nerfs.

Temple Grandin se bricole alors une trappe de contention qu’elle installera même dans sa chambre d’étudiante à la cité universitaire !

J’avais moi aussi vécu quelque chose du même ordre avec Boris quand il était tout petit. Il passait alors toutes les nuits à se cogner le dos contre une porte, un mur ou un radiateur. Après des mois d’insomnies j’avais fini par découvrir qu’en le serrant dans mes bras et en lui parlant tout doucement, il commençait par se débattre et à hurler puis, très vite, il se relâchait d’un seul coup et il s’endormait paisiblement. Cela paraissait miraculeux.

Plus tard et pendant longtemps encore Boris, comme beaucoup d’autistes, avait besoin de tapoter régulièrement contre quelque chose de dur : un mur, la vitre de la voiture, un meuble, etc.

Inversement il était fasciné et terrorisé par les trous : dans la rue par exemple il fallait le décoller des bouches d’égout, à la maison il démontait les cuvettes des WC et les siphons de lavabos.

Ce besoin flagrant de contenance pourrait nous amener à nous poser quelques questions théoriques, très incorrectes politiquement et que je ne vais qu’évoquer aujourd’hui :

- Le packing, diabolisé de nos jours, ne correspond-il pas exactement à la démarche de Temple Grandin, surtout lorsqu’il répond à la demande de la personne autiste elle-même ?

- Dans les méthodes intensives de type ABA ne peut-on pas considérer que ce qui agit, au-delà des renforcements positifs et négatifs, c’est le caractère contenant de l’ensemble du dispositif, ce mur permanent construit autour de l’enfant par le corps des intervenants, la forme des tables, la rigidité des exercices, etc. ?

Ce qui reviendrait à dire que les tenants de l’ABA pratiqueraient une forme de packing sans le savoir…Qui plus est, contrairement aux indications de Temple Grandin, une forme de packing sans le consentement du principal intéressé !

Mais revenons au sujet.

On déduit très facilement de ces observations que, dans une institution pour personnes autistes, tous les bords vont être soumis à rude épreuve et qu’il vaut mieux utiliser des matériaux solides si on ne veut pas avoir rapidement à tout reconstruire : à proscrire donc les cloisons fragiles en placo, les dalles en polyester suspendues sur rails pour les faux plafonds, les vitres qui se brisent au premier choc et peuvent blesser, les portes en contreplaqué, etc.

Tout ce qui peut s’arracher ou être secoué doit être très solide ou hors de portée : radiateurs, tuyauteries, papiers peints, rampes, prises et interrupteurs en appliques, etc.

Les usagers de ces institutions ont besoin de bords bien marqués pour éviter la confusion entre le dedans et le dehors : il ne faut donc pas de grandes baies vitrées au niveau du sol, ou alors il faut les barrer par une traverse en bois, un film opaque à ce niveau, des rideaux ou tout autre dispositif. Pour aider les résidents à faire la différence entre le dedans et le dehors toutes les portes du foyer auront une face foncée côté intérieur et une face claire côté extérieur.

Sont aussi prévus des sas pour faciliter le passage de l’extérieur à l’intérieur d’un bâtiment (et vice-versa) : ces petites pièces, avec une porte vitrée à mi-hauteur donnant sur l’extérieur et l’autre, du côté opposé, vers l’intérieur du bâtiment, avec un hublot vitré, serviront en même temps de vestiaires et d’isolation thermique.

L’ensemble du foyer doit être contenant : à Chaumont les différents bâtiments seront construits autour d’une cour centrale qui sera le cœur de ce foyer. Mais là, pour répondre également au besoin de ne pas être constamment exposé aux regards et à la présence des autres, il y aura dans cette cour un ancien pressoir, un poulailler, un barbecue et des arbres.

Dans le même registre on constate que la plupart des autistes adorent l’eau, les bains et les douches. Quand nous amenons Boris se baigner dans des sources thermales, où l’eau est à plus de 30 degrés, il peut rester des heures dans un bassin au milieu de la foule, sans se sentir envahi par tout ce monde, il accepte de se séparer de nous et il n’a plus aucune stéréotypie. C’est assez incroyable et c’est une constatation qu’ont pu faire de nombreux parents et professionnels. Cependant si l’on cherche une explication commune à tous ces phénomènes et si on essaie de comprendre pourquoi l’eau thermale des sources où nous amenons Boris a un effet plus miraculeux que celle de Lourdes, les bords de la piscine deviennent vite assez glissants. En effet :

- Soit on considère que les gènes ou les neurones défaillants qui poussent nos enfants à se taper le dos contre un mur et à bien d’autres stéréotypies sont solubles dans l’eau chaude,

- Soit on est bien obligé d’admettre qu’il y a quelque chose au niveau de la peau, de l’image corporelle, qui est en jeu dans toutes ces manifestations.

Mais revenons au sujet…

J’aurais bien aimé qu’il y ait une piscine et une balnéo à Chaumont. Comme vous pouvez vous en douter ce ne sera pas possible pour des raisons budgétaires. Mais nous aurons quand même deux jacuzzis dans l’espace psychomotricité et une baignoire à bulle dans la salle de bain de chacune des unités de vie.

Une autre manifestation caractéristique de l’autisme est l’hypersensibilité à certains bruits et aux lumières trop vives.

Pendant des années nous n’avons pas pu allumer la radio à la maison ou dans la voiture en présence de Boris. Lorsqu’on passait l’aspirateur il poussait des hurlements stridents insupportables. Idem dans les garages ou résonnent toujours les bruits métalliques des outils sur les carrosseries. Un jour, alors que nous nous promenions au bord du lac Léman, un paquebot a fait retentir sa sirène. Boris était terrorisé. Il a dit : « Boris peur, cœur bat ». Nous étions médusés, c’était la première fois qu’il parlait.

On pourrait en conclure que si les terreurs déclenchent la parole il ne faut surtout pas chercher à créer un environnement apaisant mais au contraire leur imposer l’insupportable pour les forcer à sortir de leur isolement et les habituer à la réalité du monde. Certains le pensent mais je ne vous le conseille pas. Ou, si vous voulez vous y risquer, n’oubliez pas les boules quies et le gilet pare-balles ! Où alors vous serez vite amenés, comme le font régulièrement les promoteurs des techniques visant à l’éradication des comportements dit inadéquats, à faire mettre durablement nos enfants sous ritaline, neuroleptique, antidépresseur, anxiolytique, hypnotique ou autres friandises qui font toujours le bonheur de l’industrie pharmaceutique mais bien plus rarement celui des principaux intéressés. Et ce, en contradiction flagrante avec les recommandations de la Haute Autorité de Santé de mars 2012 qui affirment sans aucune ambigüité qu’aucun médicament ne soigne l’autisme ni n’a reçu d’autorisation de mise sur le marché pour cette population. Il est vrai que les marchands d’illusions n’hésitent pas à transformer nos enfants en légumes pour mieux pouvoir vendre leurs salades !

Mais revenons au sujet…

Dans le projet de Chaumont nous avons donc cherché à limiter le plus possible les intrusions par les bruits et les lumières :

- Le site est calme, à la campagne, loin de la route.

- Les parkings pour les voitures du personnel et des visiteurs ont été placés en dehors du site, loin des lieux de vie.

- Les fenêtres sont à double vitrage. Les volets roulants permettront d’avoir au choix une obscurité complète ou une lumière du jour filtrée.

- On privilégiera un éclairage indirect et on prohibera toute lumière instable comme les néons.

- On installera des variateurs d’intensité dans les chambres et les lieux de vie.

- Le système de ventilation sera complètement insonorisé.

- Dans trop de foyers on n’a pas étudié l’acoustique des halls et des grandes salles et leur sonorité est insupportable pour les usagers. Un autiste est vite saturé par des sources sonores multiples (qu’il ne sait pas hiérarchiser) et l’effet de brouhaha lui est très pénible.

- L’architecte prévoira un système de purge efficace et pratique du chauffage central afin d’éliminer les bruits de tuyauterie. Les sanitaires disposeront d’une robinetterie de qualité avec laquelle les joints seront faciles à changer car le bruit de la goutte d’eau peut être une véritable torture.

- Il y aura une butée derrière chaque porte et un dispositif pour limiter le bruit des portes qui claquent.

- Les chaises et les tables aussi seront insonorisées, il suffit pour cela de simples pastilles en caoutchouc ou en feutrine.

- Les machines bruyantes seront loin des lieux de vie.

Vous allez me dire :

- « Mais le bruit, c’est la vie ! En plus avec des personnes qui ne parlent pas, ne craignez-vous pas de créer ainsi une atmosphère de monastère ? »

- « C’est possible, cependant on pourra toujours par la suite ajouter certaines sources sonores si on le souhaite, mais il s’agira alors de bruits choisis et non subis. »

Par ailleurs, pour tous ceux qui se préoccupent du bien-être des personnes autistes, il y a peut-être quelques enseignements à tirer de l’expérience monacale. Car là aussi il s’agit d’êtres humains qui vivent en dehors du monde et qui sont enfermés dans le silence. Chez eux aussi il y a un besoin d’immuabilité, de circuits répétitifs et d’une vie quotidienne très ritualisée. Et les dispositifs qu’ils ont mis en place pour parvenir à la paix intérieure sont peut-être en partie transposables. Par exemple en matière architecturale, la sobriété cistercienne ou celle des temples zen pourrait constituer un modèle pour les foyers. En effet les personnes autistes sont obsédées par les détails qui, pour elles, ont tous la même importance. Elles n’ont pas une vision globale, synthétique des choses, la fonction de tri des informations semble ici carente. Alors, pour ne pas saturer leurs perceptions et provoquer les débordements qui en résultent, il est bon de minimaliser les détails et le nombre de matériaux.

Le repérage dans le temps et dans l’espace est très difficile, voire impossible dans les cas d’autisme les plus sévères. C’est là une constatation que font tous les courants qui se sont penchés sur l’autisme même si les explications sur l’origine de ces difficultés sont très diverses. Certains affirmeront ici encore une fois que c’est forcément d’origine génétique ou neuronale. J’aurais un peu de mal à partager cette conviction car j’ai aussi très souvent remarqué que beaucoup de femmes n’avaient pas du tout le sens de l’orientation. Et je risquerais ici de me faire lyncher si je laisser supposer chez ces femmes un quelconque problème génétique ou neuronal…

Mais revenons au sujet.

Un des enjeux de la construction d’un foyer sera donc de faciliter ces repérages. Pour cela nous avons prévu à Chaumont, en dehors des panneaux habituels avec des pictogrammes pour indiquer le programme de la semaine, les menus, etc :

- D’identifier clairement chaque lieu : chaque unité de vie, chaque espace, aura une couleur distincte, on parlera ainsi de la maison bleue, de la maison verte, etc.

- Les lieux de vie seront distincts des lieux d’activités.

- Les bâtiments seront à distance suffisante les uns des autres.

- Dans les couloirs, les lieux de vie et les chambres des horloges numériques complètement silencieuses indiqueront l’heure, le nom du jour, le mois et l’année.

- Un carillon programmable, discret et mélodieux, signifiera par de petites mélodies distinctes les différentes étapes de la journée.

- Une variation générale et programmée de l’intensité lumineuse des lieux de vie pourra être utilisée pour indiquer des changements de rythmes de vie ou l’heure du réveil.

- On organisera un jalonnage des itinéraires : car il faut penser que beaucoup d’autistes empruntent toujours le même itinéraire et certains longent les murs :

C’est pour eux un véritable « rail » et il ne doit jamais surplomber le vide. Donc, si on met des bacs, des plantes vertes ou des meubles bas, on les met du côté des parois à fenêtres pour laisser les parois sans fenêtres remplir leur fonction de rail. On veillera à ne pas mettre le long d’un rail des poignées de portes qui accrochent, arrachent les poches et déchirent les pulls. On mettra plutôt des poignées encastrées dans l’épaisseur de la porte. On prévoira des « ponts », à savoir des endroits où il est aisé en deux ou trois pas de changer de rail pour ne pas avoir à traverser une grande salle ou une cour. Dans les espaces extérieurs on conservera la logique du rail, certains feront un détour afin de longer un bâtiment ou une haie pour aller d’un bâtiment à un autre. On aménagera les bordures de bâtiments servant de rail afin d’éviter que les personnes ne marchent dans les rosiers, ou ne glissent dans la boue. On évitera les bordures de fenêtres en surplomb à hauteur de tête. Des gouttières éviteront que les personnes ne reçoivent toute l’eau du toit.

En 2006 j’ai donc écrit un texte à l’intention des architectes qui seraient choisis pour construire le futur foyer de Chaumont, texte qui a été publié dans la revue Sésame Autisme sous le titre “recommandations architecturales”. Je viens de vous présenter et de vous commenter l’essentiel de ces recommandations.

Comme vous l’avez vu, la démarche était très simple puisque je partais des manifestations caractéristiques de l’autisme, la fuite du regard, l’intrusion par les bruits, les lumières, la présence de l’autre etc. pour proposer des aménagements concrets susceptibles de limiter le sentiment d’envahissement que peuvent provoquer ces perceptions chez nos enfants.

Les manifestations de l’autisme de Kanner n’ont en rien changé depuis leur description en 1943. C’est même une différence notable avec les maladies psychiques qui sont toujours perméables à l’air du temps. Ainsi l’expression de l’hystérie aujourd’hui n’a plus rien à voir avec les descriptions de Charcot à la fin du 19ème siècle ou bien les thèmes du délire des psychotiques trouvent de nos jours leur inspiration davantage dans le domaine de la politique que du religieux.

Certains en tireront la preuve que l’autisme n’est pas une maladie psychique, d’autres feront remarquer que les personnes autistes ne peuvent pas être influencées par l’air du temps car elles vivent en dehors du monde, c’est pourquoi leur mode d’expression archaïque n’a pas de frontières spatiales ou temporelles.

Comme d’habitude chacun fera son choix dans ces théories, en fonction de ce qui l’arrange…

Toujours est-il que, lorsqu’on s’en tient à la description des faits il peut parfois y avoir l’unanimité. Cela se complique quand on commence à les classer et à les interpréter.

Mais revenons une dernière fois au sujet :

Les associations qui composent l’Udapei ainsi que le Conseil Général de la Haute-Savoie et la DDASS ont donc jugé cette approche intéressante et le projet a été lancé. Porté par l’AAPEI d’Annecy, le chantier a commencé en 2010 et le FAM de Chaumont ouvrira ses portes avant l’été 2013. Après 4 ans en amendement Creton, Boris et 26 autres jeunes auront enfin une place dans un foyer.

Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, ces recommandations architecturales ont été reprises intégralement dans un rapport de l'ANCREI sur l’habitat des personnes autistes qui avait été commandé par la Direction Générale de la Cohésion Sociale et qui a été publié en septembre 2011.

http://ancreai.org/content/l%E2%80%99habitat-des-personnes-avec-ted-du-chez-soi-au-vivre-ensemble

On peut y lire en page 37 :

“A noter un travail remarquable car très exhaustif publié par un parent, responsable associatif dans la revue de Sésame Autisme en 2006 qui présente une excellente synthèse en langue française de ce que l’on pourrait considérer comme l’état de l’art.

Il nous semble que l'essentiel est évoqué dans ce texte qui devrait constituer un véritable vade-mecum pour tout promoteur associatif et tout architecte qui construirait un projet à destination des personnes avec TED.”

Une fois passée la satisfaction narcissique de voir mon travail reconnu officiellement j’ai recommencé à m’inquiéter un peu pour l’avenir. Car rien ne me semble plus dangereux que la sacralisation d’une théorie érigée en norme. C’est là que tout se fige et c’est le point de départ de l’intolérance. Et puis je ne suis absolument pas sûr de la pertinence de chacune de mes recommandations. Ce ne sont que des hypothèses de travail, on a certes besoin d’hypothèses pour avancer, mais il faut constamment les soumettre à l’épreuve de l’expérience, les modifier et les rejeter sans état d’âme quand cela n’apporte plus rien. Et même si l’on se trompe, tant pis car rien n’est pire que l’immobilisme, la routine et l’indifférence, en particulier avec nos enfants autistes.“


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Appréciation

🚩 Travaux remarquables.

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